Chateaubriand pastiché
par Flaubert.
Flaubert, auteur de Madame Bovary (1857).
Flaubert, auteur de Madame Bovary (1857).
Flaubert - Par les champs et
par les grèves
est un récit de voyage en Bretagne, publié
en 1881.
« Il dormira là-dessous, la tête tournée vers
la mer ; dans ce sépulcre bâti sur un écueil, son immortalité sera comme fut sa
vie, déserte des autres et tout entourée d’orages. Les vagues avec les siècles
murmureront longtemps autour de ce grand souvenir ; dans les tempêtes elles
bondiront jusqu’à ses pieds, où les matins d’été, quand les voiles blanches se
déploient et que l’hirondelle arrive d’au-delà des mers, longues et douces,
elles lui apporteront la volupté mélancolique des horizons et la caresse des
larges brises. Et les jours ainsi s’écoulant, pendant que les flots de la grève
natale iront se balançant toujours entre son berceau et son tombeau, le cœur de
René devenu froid, lentement, s’éparpillera dans le néant, au rythme sans fin
de cette musique éternelle.
[…]
« Le ciel
était rose, la mer tranquille et la brise endormie. Pas une ride ne plissait la
surface immobile de l’Océan sur lequel le soleil à son coucher versait sa
lumière d’or. Bleuâtre vers les côtes seulement, et comme s’y évaporant dans la
brume, partout ailleurs la mer était rouge et plus enflammée encore au fond de
l’horizon, où s’étendait dans toute la longueur de la vue une grande ligne de
pourpre. Le soleil n’avait plus ses rayons ; ils étaient tombés de sa face et
noyant leur lumière dans l’eau semblaient flotter sur elle. Il descendait en
tirant à lui du ciel la teinte rose qu’il y avait mise, et à mesure qu’ils
dégradaient ensemble, le bleu pâle de l’ombre s’avançait et se répandait sur
toute la voûte. Bientôt il toucha les flots, rogna dessus son disque d’or, s’y enfonça
jusqu’au milieu. On le vit un instant coupé en deux moitiés par la ligne de
l’horizon, l’une dessus, sans bouger, l’autre en dessous qui tremblotait et
s’allongeait, puis il disparut complètement ; et quand, à la place où il avait
sombré, son reflet n’ondula plus, il sembla qu’une tristesse tout à coup était
survenue sur la mer. »
L’île est
déserte; une herbe rare y pousse où se mêlent de petites touffes de fleurs
violettes et de grandes orties. II y a sur le sommet une case- mate délabrée
avec une cour dont les vieux murs s’écroulent. En dessous de ce débris, à
mi-côte, on a coupé à même la pente un espace de quelque dix pieds carrés au
milieu duquel s’élève une dalle de granit surmontée d’une croix latine. Le tombeau est fait de trois morceaux, un pour le socle, un pour la dalle, un pour la
croix.
II dormira
là-dessous, la tête tournée vers la mer; dans ce sépulcre bâti sur un écueil,
son immortalité sera comme fut sa vie, déserte des autres et tout entourée
d’orages. Les vagues avec les siècles murmureront longtemps autour de ce grand
souvenir ; dans les tempêtes elles bondiront jusqu’à ses pieds, ou les
matins d’été, quand les voiles blanches se déploient et que l’hirondelle arrive
d’au-delà des mers, longues et douces, elles lui apporteront la volupté
mélancolique des horizons et la caresse des larges brises. Et les jours ainsi
s’écoulant, pendant que les flots de la grève natale iront se balançant
toujours entre son berceau et son tombeau, le cœur de René devenu froid,
lentement, s’éparpillera dans le néant, au rythme sans fin de cette musique
éternelle.